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EthiCafé: PEUT-ON TOUT EXPOSER?

Nous proposons à celles et ceux qui n’ont pu participer à l’ EthiCafé du 23 mars dernier, de prendre connaissance de l’intervention de Christian Depardieu, sur le thème de l’éthique et de l ‘art.

« Commençons par une banalité : tout est affaire de lieu et de circonstances. Peut-on rire de tout ?

Oui, selon le lieu, la personne qui vous y invite, les circonstances.

Un humoriste pourra, dans une salle privée, s’il le fait d’une manière habile, sortir les pires horreurs sur tel ou untel, rire d’un décès, d’une catastrophe, etc.

Or nous avons vu récemment que sur une radio de service public, cela pouvait poser quelques problèmes… (exclusion de Didier Porte et Stéphane Guillon de France Inter)

Pour les expositions d’art contemporain c’est un peu la même chose.

Rappelons un peu d’histoire de l’art :

Les notions de beau et d’esthétique n’ont cessé d’évoluer au fil des siècles.

C’est une question de fond qui touche à la définition philosophique de l’esthétique, à ce que l’on désigne, depuis le XVIIIème siècle, par le « beau » (Kant) et qui n’a cessé d’évoluer, de se confronter au développement de la science et maintenant des nouvelles technologies.

Les traditionnels beaux arts (peinture, sculpture, architecture, littérature, musique) selon la définition du XIX°, siècle ont subit de profondes mutations, toujours à l’œuvre de nos jours.

Ainsi, le regard que nous portons sur les œuvres d’art s’en est trouvé profondément changé.

Dans la deuxième partie du XXe siècle deux grands mouvements esthétiques se sont affrontés : l’un cherche à rompre avec l’illusion, à rendre manifeste le réel, dans toutes ses formes ; l’autre pense qu’il n’y a rien au-delà de l’image…

Ainsi, pendant tout le du vingtième siècle, l’art n’a cessé de dépasser ses limites.

Cf : le livre de Paul Ardenne Extrême : esthétiques de la limite dépassée, paru en 2006 aux édition Flammarion.

Quelques exemples :

– Les Actionnistes de Wien en Autriche présentaient au public des performances d’une grande violence.

– La performance « le lait chaud » plus calme mais non moins extrême de Gina Pane. Habillée de blanc, elle s’entaillait lentement le corps et le visage, laissant le sang se répandre sur sa chemise devant un public restreint mais pétrifié…

– L’artiste Serge 3 (photo couverture du livre de Paul Ardenne) qui, sur scène, devant un public non prévenu, à joué pour de vrai à la roulette russe… Heureusement sans conséquence.

Le XXème siècle n’a donc cessé de voir transgressées les règles avec des œuvres et des actions artistiques allant parfois jusqu’à l’insoutenable.

On aurait pu penser que le XXIème tiendrait ces expériences pour acquises, que la liberté d’expression avait progressé, franchit une étape…

Or, force est de constater que les œuvres d’art continuent de provoquer de vives controverses, des interdictions, des procès, des polémiques.

Des caricatures provoquent de violentes réactions, allant jusqu’au meurtre ; une pièce de théâtre à Berlin, une exposition à Londres, font l’objet de censure, voire d’autocensure ; Trois conservateurs ont été poursuivi en justice pour une exposition au CAPC à Bordeaux en 2000, jugée violente et pornographique.

Arrêtons nous sur cette affaire qui me paraît emblématique :

Pour la première fois en France deux directeurs de musée et un commissaire d’exposition ont comparu en Justice pour avoir montré des œuvres d’art déjà diffusées partout dans le monde ou vues depuis dans des manifestations sans susciter la moindre réaction du public. Ils ont été jugés pour l’avoir fait dans le cadre d’une réflexion collégiale, partagée avec leurs autorités de tutelle, fondée sur un des sujets majeurs de l’histoire de l’art.

Ce procès d’un autre siècle, témoin d’un obscurantisme menaçant, instruit avec un acharnement irrationnel par un seul juge, au mépris de la création artistique et du droit des individus à accéder librement à toutes les formes de l’art, s’est déroulé à Bordeaux, sous la pression d’une association locale de protection de l’enfance, La Mouette, soutenue par une presse extrémiste, d’ailleurs condamnée pour diffamation à l’encontre de l’un des accusés.

Peut-on imaginer que ce qui est regardable, acceptable partout ailleurs, ne le soit pas à Bordeaux ?

Depuis, ces trois personnes ont été entièrement blanchis mais après avoir subit plus de 10 ans de procédures pendant lesquels la justice s’est quelque peu déconsidérée, rappelant les grands procès de censure qui se sont toujours terminés par un violent retour de bâton contre les censeurs. Moins grave mais tout aussi édifiant : A Nice, rue Defly, des riverains pudibonds ont fait retirer manu militari de la vitrine d’une galerie, un tableau représentant, en grand format, l’Origine du Monde de Courbet.

L’original, mondialement connu, exposé au Musée d’Orsay à Paris, n’aura cessé depuis 140 ans de provoquer des réactions !

Dernièrement, l’exposition du photographe américain Larry Clark à la Mairie de Paris a été interdite aux moins de 18 ans. Il a réalisé des photos dans les années 70 avec la jeunesse de l’époque dont d’ailleurs il faisait partie : sexe, drogue et rock’n roll. Certaines images très connues peuvent effectivement choquer.

Encore que ce dernier exemple ne soit pas exempt d’une stratégie de communication utilisant le scandale pour provoquer un afflux massif de visiteurs… Ce qui s’est effectivement produit !

Bref, après le grand vent de liberté des années 60 et 70, les actes de censure et d’intolérance à l’égard des œuvres produites par des artistes contemporains se multiplient dans nos démocraties, censées pourtant incarner et protéger la liberté d’expression, aboutissement d’un processus d’évolution ayant pour socle les idées des Lumières.

De nos jours, la liberté des artistes n’est certainement plus aussi grande. Impossible par exemple de publier un livre de photos de très jeunes filles nues comme l’avait fait David Hamilton. Aucun éditeur ne prendrait le risque d’un procès.

Il ne suffit donc plus de condamner fermement les atteintes de plus en plus nombreuses à la liberté d’expression. Nos démocraties doivent redoubler de vigilance, de courage et de fermeté face a la montée des intolérances de tous bords.

La liberté d’expression des artistes, face aux phénomènes d’autocensure et au poids des contraintes religieuses, ne peut plus être occultée.

Le problème de la responsabilité morale de l’artiste reste plus que jamais posé :

Jusqu’où l’artiste peut-il aller par rapport au droit et à la morale ?

Où s’arrête sa liberté ?

La tentative de «criminalisation» qui touche aujourd’hui les artistes, les acteurs et les lieux culturels qui les diffusent, doit appeler à la plus grande vigilance à l’égard d’une censure toujours prompte à instrumentaliser les causes les plus nobles, comme la protection de l’enfance, à des fins autoritaires et liberticides.

Ces questions représentent selon moi un véritable défi pour nos sociétés qui n’éviteront pas ce débat. Toutes les opinions doivent s’exprimer, mais les fondamentaux des lumières doivent sans cesse être réaffirmés.

Nul doute que ces sujets sensibles n’ont pas fini de provoquer des positions contrastées, selon d’innombrables paramètres, personnels et collectifs… »

Ethicafé le 23/03/2011 Christian Depardieu

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